Grasse et Yvan Bounine à l’honneur dans la presse Russe – Le Monde des Nouvelles

L’article sur Bounine à Grasse (« Les mystères de la Villa Belvédère ») est sorti dans le journal « Mir Novostei » (« Le Monde des Nouvelles »), je vous propose de le retrouver dans sa version originale en ligne et en russe :

https://mirnov.ru/kultura/literatura/taina-villy-belveder.html

En version française ci-dessous :

1/- Ivan Bounine à Grasse
• Connaissez-vous des anecdotes, des souvenirs de Grassois, des photos ou documents d’époque sur le séjour de Bounine à Grasse ? Sur l’annonce de son prix Nobel en 1933 ? Sur les gens célèbres qui lui ont rendu visite ? (Rachmaninov, Gide, Mauriac…)
Bounine réside à Grasse pendant 22 ans, de 1923 à 1945. Il occupera successivement trois maisons :
 La villa Mont Fleuri, aujourd’hui villa La Rivolte, chemin des Lierres (1923)
 La villa Belvédère, chemin du Vieux Logis (1923-1939)
 La villa Jeannette, Bd Clémenceau (1939-1945)

Bounine se mêle peu à la population grassoise, il sort peu mais on le voit à Antibes sur « Bel-Ami »le dernier bateau de Maupassant ou recevant des écrivains et artistes chez lui : Rachmaninov, Chaliapine, Nina Berberova, André Gide avec qui il joue aux échecs et qui lui écrira dans une très belle lettre au moment de ses 80 ans :
« En dépit même des divergences intellectuelles. Comme je m’entendais bien avec vous! Au cours de la conversation, nous découvrions que nous n’étions d’accord sur rien, absolument sur rien : c’était charmant »
Dans la maison, il vit avec Véra, son épouse et Gallina Kuznetsova On le voit sur plusieurs photographies avec elles ou avec des amis artistes dans le jardin ou sur la terrasse de la Villa Belvédère
C’est son épouse Véra qui a le plus de contact avec les grassois. Le jour du prix Nobel est un jour de temps gris et Bounine est assez triste. Il va au cinéma de Grasse et c’est là que Véra viendra le retrouver pour lui annoncer l’attribution du prix Nobel.
• Y a-t-il des associations grassoises dédiées à la mémoire de Bounine et de son séjour ? Ces associations travaillent-elles avec la Mairie ?
En 1993, Gabriel Simonoff, professeur à l’université de Bordeaux et nouveau propriétaire de la villa Belvédère, créé l’association Les Amis d’Ivan Bounine, désireuse de « faire enfin connaître la vie et les écrits de l’écrivain exilé. » Il sollicite le haut patronage de la ville de Grasse pour débuter son activité. Cette association ne semble plus être active
• Villa Belvédère (séjour de 1923 à 1939) : dans quel état est la villa ? Y a-t-il encore des traces du passage de Bounine ? Est-elle à vendre ?
La Villa Belvédère n’est pas de toute première jeunesse, elle nécessiterait de gros travaux. Les actuels propriétaires ont disposé à l’intérieur beaucoup d’objets, d’œuvres et de documents en lien avec Bounine à l’intérieur.
J’ai cru comprendre que la propriétaire pourrait être tentée de vendre.
• Villa Jeannette (séjour de 1939 à 1946) : mêmes questions. Connaissez-vous le fait que Bounine ait caché des juifs pendant la guerre, et ait été proposé pour le titre de « Juste parmi les Nations » ?
En 1939, Ivan Bounine quitte la villa Belvédère. Il s’installe dans la villa Jeannette, mise à sa disposition par un couple d’Anglais, les Poole, partis pour la Grande-Bretagne du fait de la guerre. Elle est située sur la route Napoléon, à 300m du siège de la kommandantur… Ce qui n’empêchera pas les Bounine de cacher des Juifs pendant la guerre.

• Villa Saint-Hilaire (2017) : inauguration d’une statue, en présence de l’ambassadeur de Russie. Anecdotes sur ce monument et ses visiteurs ?
Monsieur Andreï KOVALSHUK, célèbre sculpteur russe, lauréat Renaissance française en Russie (promotion 2013) offre la statue d’Yvan BOUNINE à la Ville de Grasse.
Ce projet est né en 2013, au moment de la distinction de Monsieur KOVALSHUK par la médaille d’Or du Rayonnement culturel de la Renaissance française pour sa composition sculpturale dédiée à la célèbre escadrille « Normandie-Niemen ».
Il a alors fait part de son rêve d’ériger la statue d’Yvan BOUNINE dans la ville de Grasse. Ce dossier a été soutenu par Madame Zoya ARRIGNON, Présidente de la Renaissance française en Russie et par Monsieur le Sénateur Jean-Pierre LELEUX
La statue de 2 mètres a été inaugurée le samedi 3 juin 2017 dans le jardin de la Villa Saint-Hilaire, bibliothèque patrimoniale de Grasse, centre de ressource Maison Jardin & Paysage en présence de Son Excellence Monsieur Alexandre ORLOV, Ambassadeur de la Fédération de Russie en France et de Monsieur Andreï KOVALSHUK, Président de l’Union des artistes-peintres de la Fédération de Russie.


C’est le cadeau du sculpteur et de la Fédération de Russie à la ville de Grasse à l’initiative de la Renaissance Française en Russie.
Avant l’inauguration de cette statue, le défi a été de la déposer dans les jardins de la Villa Saint Hilaire. Elle a été transportée grâce à une grue depuis le bd A Maure en contrebas. Le sculpteur a choisi son orientation et a veillé à ce qu’elle soit correctement scellée (sans oublier de glisser une pièce russe dessous en guise de porte bonheur). Depuis, il y a régulièrement des offrandes à cette statue (bouquets de fleurs, icones, photographies….).
• Y a-t-il d’autres lieux de mémoire sur Bounine à Grasse ou dans les environs ?
Grasse, 1973. Apposition d’une plaque à l’entrée du chemin menant à la villa Belvédère et exposition à la Bibliothèque municipale
Grasse, 2000. Erection d’un buste de Bounine dans les Jardins de la Princesse Pauline,
Et il y a également eu des manifestations :
Grasse 2004. Journée commémorative «Bounine » organisée à l’initiative de l’association des Amis d’Ivan Bounine. Cette manifestation s’inscrit dans le cadre de l’année Tchékhov, ami de Bounine. A cette occasion, il est joué du Rachmaninov et les nouvelles Les Allées sombres sont mises en scène et jouées par une troupe théâtrale de Togliatti sur la Volga
Grasse, 2007. Une quarantaine de personnes est invitée à ExpoRose sur le thème de « la magie de l’âme russe ». Avec la Ville, L’association des Amis d’Ivan Bounine organise les manifestations artistiques et culturelles destinées à faire connaître les immenses talents de leur pays, dont Ivan Bounine.

2/- Le 150ème anniversaire d’Ivan Bounine (10 octobre selon calendrier actuel)
• Célébrations à Grasse ? Festivités ? Dans la région ?
Depuis un an et demi la Villa Saint Hilaire travaille avec la fondation de soutien à la littérature, à la culture et aux arts « Ippokrena » (Moscou). Il était prévu une grande manifestation en septembre pour l’anniversaire de Bounine (avec des conférences de personnalités russes et grassoises ; la venue d’étudiants russes etc.) mais cela n’a pas pu se faire en raison de la crise sanitaire. Aussi, le format a évolué en visioconférence avec la fondation, l’université de pédagogie d’Etat de Lipetsk (« Semenov-Tyan-Chan-Shansky » à Lipetsk) et la Villa Saint-Hilaire à Grasse. De grandes personnalités seront présentes à cette visioconférence comme l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’UNESCO . Cette visioconférence sera ensuite visible sur le site internet des bibliothèques de Grasse.
Exposition au Palais des Congrès du 22 octobre au 12 novembre de l’artiste peintre russe d’origine ukrainienne Nikolaï Kojoukhovski.

• Avez-vous des liens culturels avec Voronej, la ville natale de Bounine ?
Pas à ma connaissance
• Connaissez-vous des textes de Bounine sur la ville ou le paysage de Grasse ? Bounine est-il mis en valeur dans la bibliothèque municipale ?
Bounine est totalement fasciné par le paysage du pays grassois vu de la Villa Belvédère, ou de la Villa Jeannette, en particulier par la vue sur l’ Estérel au soleil couchant. Très belles pages sur le paysage grassois dans son journal ou encore dans « La Vie d’Arseniev », roman qui lui vaudra le Prix Nobel :
« Assis dans un fauteuil en osier délabré, je regardais la lumière brumeuse s’élever des montagnes par-delà Nice…
Quelle région paradisiaque… et depuis combien d’années je peux la voir, la sentir.
Oui je vis au Paradis. Je ne peux pas m’habituer à de telles journées, à de tels panoramas »
Il est régulièrement mis en valeur dans la Bibliothèque patrimoniale au travers d’expositions ou d’actions en lien avec l’artiste, exemple : Grasse 2017. Exposition à la Villa Saint-Hilaire « Dans les yeux d’Ivan Bounine » réalisée par Olga Boldyreff, artiste franco-russe qui nous a invité à marcher dans les paysages russes et méditerranéens décrits par Bounine.

3/- Autres activités culturelles franco-russes à Grasse
• Autres Russes célèbres passés par Grasse ou dans la région proche ?
C’est dès les années 1850 que la Russie découvre la Côte d’Azur, popularisée par les séjours impériaux. Et c’est à partir de 1917 qu’une importante communauté russe prend forme sur les bords de la Méditerranée.
Deux millions d’exilés
Deux millions de Russes allaient être poussés à l’exil. On les a appelés « Russes blancs », par opposition à « l’Armée rouge » des communistes. Ils comprenaient d’anciens aristocrates de la cour du tsar, des militaires combattant les bolcheviks, des opposants de toutes origines au régime soviétique. Ils se jetèrent sur les routes et les mers, à la recherche de pays d’accueil.
les tsarines Alexandra Feodorovna et Maria Alexandrovna, épouses de Nicolas Ier et d’Alexandre II, étaient venues séjourner à Nice et à Cannes, la grande duchesse Anatasia Mikhailovna, sœur du tsar Alexandre II, avait trouvé refuge à Menton, et, le 13 octobre 1893, la flotte russe était venue parader dans le port de Toulon pour sceller l’amitié franco-russe.
Le prétendant au trône au Cap d’Antibes
Parmi les militaires émigrés, figurent beaucoup de gradés. Arrivé à Nice en 1921, le général Filatieff, vice-ministre de la Guerre de Russie, s’installe à La Trinité, à la périphérie de la ville.
Les généraux Youdenitch et Tomiloff, chefs d’état-major de l’armée du Caucase, viennent le rejoindre avec leurs familles.
En 1922, le général Lomnovsky s’installe lui aussi à Nice. Ayant vécu en Bulgarie, il connaît la recette du yaourt et réussira à se reconvertir à Nice dans la fabrication de cet aliment au lait caillé. Les membres de la famille du tsar se réfugient également sur la Côte. On revoit en 1919, au Cap d’Antibes, la haute silhouette du petit-fils du tsar Nicolas 1er, le grand-duc Nicolas Nicolaïevitch, qui fréquentait déjà la Côte à la fin du siècle précédent. Prétendant au trône impérial, il rejoint, en 1924, l’organisation des militaires russes en exil et incarne l’opposition des Russes blancs à l’étranger.
Le grand-duc Pierre Nikolaïevitch achète, lui, la villa Donatello au Cap d’Antibes. Sa fille Marina, née à Nice en 1892, lors de son premier séjour sur la Côte, épousera à Antibes, en 1927, le prince Nicolas Galitzine, fils du dernier Premier ministre de la Russie impériale.
Le « Comité d’Assistance aux réfugiés de Russie et aux Russes nécessiteux réfugiés sur la Riviera », la « Société russe de secours par le travail aux émigrés russes de la Côte-d’Azur », l' »Association française d’aide aux émigrés russes », l' »Union des travailleurs chrétiens russes de Nice », etc. sont créés dans notre région.

Un Russe assassine le président Paul Doumer
Le 6 mai 1932, le Russe blanc Gorgouloff assassinera le président de la République Paul Doumer.
Arcady Yakhontoff, ancien membre du conseil des ministres russe, devient directeur d’école à Nice, tandis que l’ancien colonel Izerguine se transforme en prof de gym. Le prince Demidoff, descendant d’une des grandes familles industrielles de Russie, vend meubles, montres, lustres et bijoux, ainsi qu’une villa que sa famille possédait à Nice.
Un « grand homme maigre, qui disparaît dans ungrand et large fauteuil »: c’est le Prix Nobel de littérature Yvan Bounine. Il a dans les 80 ans. Sa célébrité ne lui a pas rapporté d’argent. Ou, du moins, il a tout dépensé.
Lui était arrivé à Grasse en 1921. Il s’était installé au haut de l’amphithéâtre que forme cette ville, adossée à la colline au milieu des plantations de fleurs. Il avait trouvé refuge avec son épouse Véra à la villa Montfleuri, qui était une maison d’accueil pour les Russes immigrés, devenue aujourd’hui la maison d’hôtes La Rivolte.
Par la suite, il s’est installé à la villa Belvédère, chemin du Vieux-Logis. Il reçut là d’autres émigrés russes, comme la romancière Nina Berberova ou le compositeur Rachmaninov – lequel, enrichi par ses tournées de pianiste, lui donna de l’argent. C’est là qu’en 1933 il apprit la nouvelle de son attribution du Prix Nobel de littérature. Il demeure l’une des gloires de l’immigration russe sur la Côte.
« Je suis un miraculé, a-t-il écrit: un condamné jeté comme des milliers d’autres dans la fosse puante de l’Histoire, un condamné agonisant qui a finalement survécu. »

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